Fiscalité

Covid19 : toutes les conséquences fiscales sur les collectivités

Publié le 07/05/2020
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Coraline Arsac et Thomas Billet, consultants du cabinet Fiscalité & Territoire, analysent pour la Gazette les conséquences de la crise du coronavirus sur les ressources fiscales des collectivités. Et les effets pourraient se ressentir pendant plusieurs années.
 
 
 

Quels effets pourraient avoir la crise du coronavirus sur la TVA ?

 
Coraline Arsac et Thomas Billet :
La deuxième loi de finances rectificative pour 2020 du 25 avril 2020 a revu à la baisse les premières estimations formulées par le Gouvernement, avec une prévision de croissance révisée à – 8 % pour 2020. Les prévisions de recettes de TVA
ont été réévaluées à la baisse à hauteur de -12 Md€ pour l’Etat. Les conséquences seront significatives pour les recettes des Régions, qui bénéficient depuis le 1er janvier 2018 de l’attribution d’une fraction dynamique de TVA. Les pertes anticipées du produit de TVA pour les Régions seraient de – 6,5 % par rapport au montant de TVA perçu en 2019, soit une perte de -276 M€. Pour 2020, le dispositif de garantie s’appliquera, la part versée aux Régions ne pouvant pas être inférieure au montant de la DGF 2017. L’écart avec les prévisions budgétaires qui prévoyaient une hausse des recettes de TVA de +3% sera très important et laisse présager des situations de
tensions financières extrêmes.
 
Les régions se retrouvent dépourvues de tout levier fiscal, avec des ressources de CVAE, TVA et TICPE fortement corrélées à la conjoncture économique, tout en étant chefs de file en matière d’aide aux entreprises. La baisse des recettes de TVA pourrait aussi avoir des conséquences sur la réforme en cours de la fiscalité locale, il paraît peu probable qu’elle demeure en l’état selon nous.
 
Dans le cadre de cette réforme votée dans la loi de finances 2020, il est prévu de reverser aux Départements et EPCI une part de TVA pour compenser respectivement la perte de taxe foncière transférée aux communes et de taxe d’habitation supprimée. Or, avec la crise sanitaire, les recettes de TVA nette encaissées en 2020 vont être beaucoup plus faibles que le montant prévu au moment de la conception de la réforme. Par voie de conséquence, les clés de répartition de TVA affectées aux collectivités vont être plus favorables que s’il n’y avait pas eu d’épidémie de Covid-19. Au regard de cette situation exceptionnelle, on peut imaginer que l’Etat va réfléchir à des
ajustements techniques.
 
 

Peut-on imaginer d’autres conséquences sur la taxe d’habitation et la taxe foncière ?

 
Compte tenu de la période du confinement, les rôles supplémentaires de taxe d’habitation et taxe foncière risquent d’être faibles cette année. Or, la moyenne des rôles supplémentaires sur la période 2018-2020 est intégrée dans l’estimation de la perte de TH (pour les EPCI) et la perte de TFb (pour les départements), dans le cadre de la réforme fiscale. Les collectivités pourraient donc être pénalisées.
 
La crise sanitaire et économique actuelle bouscule les lignes et le calendrier de mise en oeuvre de la réforme fiscale tombe au plus mal. A titre d’illustration, les communes ne peuvent prendre en 2020 aucune délibération en matière de taxe foncière pour une application en 2021, année de la descente du foncier des Départements vers les villes. Or, beaucoup de communes souhaiteraient mettre en place le dispositif d’abattement de taxe foncière en faveur des commerces de moins de 400 m2 (hors magasins appartenant à des ensembles commerciaux).
 
 

Quels impacts sur le versement mobilité ? 

 
Les Autorités Organisatrices de la Mobilité (AOM) vont subir une baisse de versement mobilité sur l’année 2020 (voire un impact prolongé sur 2021) en raison des reports de charges, de l’activité partielle, des arrêts de travail pour maladie et garde d’enfants et de la hausse probable du chômage. La temporalité de l’impact est immédiate en matière de versement mobilité.
 
En effet, dès le mois d’avril 2020, les autorités organisatrices de la mobilité percevant le versement mobilité ont été impactées avec une baisse de leur acompte relatif au mois d’Avril. Elles ont perçu 60% de M-2 (février, mois de référence pour l’acompte d’Avril) au lieu des 75% habituels.
 
Cette situation s’explique par des perspectives d’encaissement des contributions Mobilité évalués par l’Acoss pour le mois d’Avril autour de 70% des encaissements de Février. En terme de versement aux AOM, en accord avec le GART, l’ACOSS a décidé de diminuer les 70% de 10 points supplémentaires pour éviter les effets de régularisation négative en M+2.
 
Ce taux de recouvrement prévisionnel sur Avril s’explique majoritairement par les reports de paiement des cotisations sociales, dispositif fortement utilisé par les entreprises qui paient leurs cotisations à l’échéance du 15 du mois (entreprises de – de 50 salariés), mais aussi par les premiers impacts de la baisse d’activité générale avec le recours au chômage partiel et aux arrêts maladie.
 
L’impact sera très significatif sur les versements du mois de Mai, sous l’effet d’un mois complet de confinement en avril et le recours massif au chômage partiel. Cette crise oblige à s’adapter, c’est ce que l’Acoss fait en modulant les acomptes versés aux AOM en fonction des prévisions d’encaissements pour le mois, pour coller au plus près du réel et éviter les régularisations négatives.
 
La même évaluation des encaissements prévisionnels sur Mai sera réalisée pour évaluer le niveau d’acomptes à verser aux AOM. Les premières estimations menées par le cabinet permettent d’anticiper un acompte pour Mai entre 40% et 45% de M-2.
 
 

Et sur la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ?

 
La CVAE étant assise sur la valeur ajoutée, son montant fluctue en fonction de la conjoncture économique. Compte tenu du reversement en N+1 de la CVAE collectée (et dégrevée) en N, les impacts de la crise Covid-19 sur les recettes de CVAE des collectivités concerneront les exercices 2021 et 2022. C’est un effet en deux temps. Pour bien comprendre le mécanisme de la CVAE, il faut rappeler qu’il existe deux groupes de contributeurs.
 
Il y a, d’une part, les entreprises qui ne sont pas soumises au versement d’acompte. Sont concernées les entreprises dont le montant de CVAE N-1 était inférieur à 3000 €. Ce premier groupe de contributeurs va acquitter, en 2020, la CVAE 2019, qui sera reversée en 2021. L’impact de la crise actuelle sur ce groupe portera donc sur l’exercice 2022.
 
D’autre part, il y a un deuxième groupe d’entreprises qui sont soumises au versement d’acomptes. Ces entreprises peuvent payer en 2020, une régularisation sur la CVAE 2019, ou être remboursées en cas de trop payé, et puis elles vont payer des acomptes de CVAE 2020. La loi leur laisse la possibilité d’anticiper une variation de valeur ajoutée pour le paiement de ces acomptes. Les entreprises de ce groupe vont certainement utiliser ce dispositif. Si tel est le cas, et c’est le postulat méthodologique que nous prenons dans le cadre de nos projections, l’impact de la crise Covid-19 sur ce 2ème groupe se fera ressentir dès 2021. Les entreprises soumises au versement d’acomptes peuvent représenter plus de 70% de votre tissu économique.
 
Les premières estimations réalisées permettent d’anticiper une baisse entre -6 et -10% des reversements de CVAE sur l’exercice 2021, qui pourrait aller sur certaines collectivités jusqu’à -15%. En 2022, la baisse se situerait en moyenne entre -15% et -22%, avec quelques décrochages jusqu’à -27%. Si on cumule les pertes 2021-2022, ce serait des pertes cumulées moyennes comprises entre -20% et -35%. Si les entreprises sous-estiment leur valeur ajoutée 2021 (entreprises du deuxième groupe), on observera un effet de rebond en 2023 avec les régularisations.
 
Nous prenons comme base de projections une perte du PIB estimée à 8 points mais qui pourrait encore baisser dans les prochaines semaines. Les estimations seront revues en fonction de l’évolution du contexte. Les défaillances d’entreprises impacteront aussi la CVAE mais il est difficile à ce stade de les estimer compte tenu de l’ensemble des aides allouées par l’Etat et les collectivités.
 
 

Et sur les Droits de mutation à titre onéreux ?

 
Sur les DMTO qui sont la deuxième recette de fonctionnement des départements après la taxe foncière, il faut s’attendre à un retournement de cycle après six années consécutives de hausse des recettes. Au moment de la crise de 2008, les recettes de DMTO avaient baissé de -8,6% et en 2009, de -26%. La crise actuelle n’est pas comparable avec celle de 2008, qui était d’origine financière, mais le secteur de la construction est particulièrement impacté avec les chantiers à l’arrêt et le rythme des transaction immobilières s’est fortement ralenti.
 
Sur les 6200 études notariales en France, on était à fin mars sur 3500 actes jours (tout acte confondu) contre 15000 habituellement, soit environ un cinquième de l’activité normale. Il est à noter par ailleurs que le nombre de rétractations sur les compromis de vente signés juste avant les mesures de confinement est en forte hausse (20% contre 1% habituellement). Le secteur de l’immobilier est le témoin de cette crise qui est un choc à la fois  de l’offre et de demande, avec un climat d’incertitude particulièrement anxiogène qui peut décourager des investisseurs qui vont reporter leur projet à plus tard.
 
Selon la note de conjoncture des notaires du mois d’avril, le déconfinement devrait sans doute provoquer :
 
  • à court terme, un « rebond technique », lié au rattrapage et à régularisation de l’ensemble des actes concernés par le décalage conjoncturel
  • à moyen terme, le trou d’air que l’on a connu pendant la période de confinement se reproduira dans les 2/3 mois qui suivront, au regard de l’inertie et des délais naturels du marché immobilier
  • à long terme, s’il faut s’attendre à une forte récession économique, le marché immobilier pourrait commencer à repartir en fin d’année 2020, voire au début de l’année 2021, mais sans comparaison avec la dynamique de 2019.

 

Et sur la taxe de séjour ?

 
Le confinement et la fermeture des frontières a eu pour conséquence un arrêt de 80% de la mobilité. Le secteur du tourisme est à l’agonie avec l’arrêt de la circulation des personnes et l’interdiction d’ouverture des hôtels, campings, plages, parcs d’attractions et de loisirs, restaurant et cafés jusqu’à nouvel ordre et l’annulation de l’ensemble des festivals qui font vivre l’économie locale.
 
Selon Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat en charge de la filière, le tourisme a été touché le premier de plein fouet, chaque mois c’est 10 à 15 millions d’euros de perte de recettes sur 170 milliards d’euros de recettes
annuelles.
 
Les recettes de taxe de séjour vont baisser à due proportion du temps de fermeture des structures et des effets des décisions gouvernementales à venir (libre circulation ou pas en France, en Europe ..). L’inquiétude porte sur la saison estivale, compromise. Le tourisme en France, c’est 443 millions de nuitées dont 71% pour la saison estivale qui court d’avril à septembre. Par ailleurs, du fait de l’arrêt de la mobilité, les recettes de TICPE vont donc aussi baisser.
 
 

Et sur la Cotisation foncière des entreprises ?

 
Ce qui peut impacter le plus la CFE, ce sont les défaillances d’entreprises cumulées à un net ralentissement des créations. Pour les cessations d’activités qui interviendraient en cours d’année, les entreprises peuvent demander un dégrèvement sur les mois restant à courir, ce qui pourrait impacter le produit 2020.
 
Les collectivités doivent mettant en place des observatoires économiques sur leur territoire pour surveiller ces évolutions. Au-delà, la CFE est une ressource relativement préservée car les contributeurs dominants à la CFE ont comme base d’imposition la valeur locative foncière, qui ne varie pas avec la conjoncture économique.
 
Seuls les contribuables assujetties à la cotisation minimum de CFE pourront changer de tranche, en cas de baisse de chiffre d’affaires. Mais cela concernera les entreprises qui réussiront à passer le tunnel de la crise et avec un effet différé (en 2022) car c’est le CA N-2 qui est pris en compte pour ces redevables. Ces contribuables assujettis à un montant forfaitaire de CFE sont nombreux (leur proportion moyenne se situe autour de 2/3 des redevables à la CFE) mais ils pèsent peu au global en terme de produit (moins de 20%).
 

Pour aller plus loin: Demandez votre étude d'impact de la crise sur votre fiscalité

 
Notre métier étant d’être aux côtés les collectivités, nos consultants proposent de vous accompagner dans cette période difficile à travers une étude d’impact de la crise actuelle sur l’évolution des impôts économiques locaux (CVAE, TASCOM, CFE) spécifique à votre territoire, ainsi qu'une étude sur la baisse des recettes de versement mobilité..
 
Nous vous invitons à vous rapprocher de nous pour connaître les conditions de réalisation de ces prestations:
 
 
 

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